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Check up éthique des mesures de santé publique

Édition n° 96
Jan.. 2013
Santé publique et éthique

Ethique en santé publique. Les acteurs de la santé publique doivent avoir une vision supra-individuelle tout en portant attention à l’individu. En effet, ce qui sert la société peut desservir le particulier. Inversement, des comportements préjudiciables pour la santé peuvent à leur tour conduire à un surcroît de charge économique pour la société. Alors, quels principes retenir lorsque l’on met dans la balance profit et préjudice, bien commun et bien individuel? L’éthique en santé publique doit pouvoir répondre.

Si les interventions de santé publique visent le bien-être de l’ensemble de la société ou de groupes, elles concernent aussi l’individu et peuvent entrer en conflit avec sa liberté de décision. C’est pourquoi la santé publique se trouve en permanence dans le champ de tension entre bien commun et bien de la personne. Toute décision ne pourra être prise qu’après une réflexion approfondie sur le profit tiré au niveau collectif et le possible préjudice causé au niveau individuel. Dans leur ouvrage «Public Health Ethik», Daniel Strech et Georg Marckmann présentent six critères destinés à soutenir l’évaluation éthique de mesures de prévention et de promotion de la santé.  

1. Potentiel de profit pour la population-cible
Principes éthiques de la maximisation du profit et de la bienfaisance
Tout en respectant l’autonomie, les mesures de santé publique doivent apporter le plus grand profit possible en matière de santé pour une société. L’évaluation éthique d’une intervention de prévention devra donc commencer par une évaluation du potentiel de profit. Avant de lancer une mesure, des études scientifiques doivent avoir suffisamment démontré qu’elle sera efficace selon toute vraisemblance et ce, dans une mesure suffisamment élevée. En matière de dépistage précoce, il est en particulier important que ces mesures ne conduisent pas à prolonger la phase de maladie.

2. Potentiel de préjudice pour les participants
Principes éthiques de la non-malfaisance et de la bienfaisance
Les interventions de santé publique s’accompagnent généralement d’effets négatifs inévitables: les résultats de tests positifs par erreur (p. ex. dans le dépistage du cancer) peuvent conduire à des thérapies inutiles; des campagnes d’information risquent de stigmatiser les groupes concernés (p. ex. les enfants en surpoids). Tout l’enjeu consiste à mettre en balance le profit et le préjudice potentiel et à obtenir une confirmation scientifique.

3. Droit à l’autodétermination
Principes éthiques du respect de l’autonomie et de la bienfaisance
Dans les sociétés libérales, la valeur accordée à l’autonomie d’un individu a fortement augmenté ces dernières années, avec pour conséquence de reporter sur l’individu la responsabilité fondamentale de la santé et de la prévention des maladies. Ce principe de l’autonomie permet de déduire deux critères éthiques pour les acteurs de santé publique: d’une part, les interventions de santé publique devraient renforcer la culture sanitaire des individus, de sorte qu’ils puissent assumer correctement la responsabilité de leur propre santé. La culture sanitaire est la capacité de prendre une décision de santé sur la base de toutes les informations pertinentes et disponibles. D’autre part, la participation à une intervention devrait être librement consentie dans la mesure du possible. Certains cas, par exemple des mesures de quarantaine, entraînent inévitablement une restriction de la liberté de décision. En règle générale, le principe de proportionnalité s’applique: avoir exploité et épuisé toutes les mesures moins restrictives, comme les systèmes d’incitation, avant d’en venir à des moyens légaux (voir encadré «Echelle d’intervention»).

4. Justice
Principe éthique de justice
Tous les pays industrialisés connaissent actuellement une hausse des inégalités sociales qui, à son tour, recèle le risque d’une augmentation des inégalités en matière de santé. En Suisse aussi, les personnes défavorisées en matière de formation, de statut professionnel ou de revenu décèdent beaucoup plus tôt que le reste de la population. Elles souffrent en outre, plus souvent, d’atteintes dans leur santé. C’est pourquoi toute évaluation de mesures de santé publique reposera sur le critère central de leur contribution à réduire les inégalités en matière de santé. Chaque être humain doit bénéficier des mêmes chances et des mêmes ressources pour exploiter son potentiel de santé. Les mesures adaptées aux groupes défavorisés en matière de santé sont particulièrement précieuses, à condition de prendre garde aux potentiels de préjudices tels que la stigmatisation. Le principe de justice signifie également qu’une mesure doit être accessible à toutes les personnes qui peuvent en profiter, ce qui suppose l’élimination aussi réelle que possible des obstacles financiers, géographiques, linguistiques ou culturels.  

5. Efficience
Principes éthiques de la maximisation des bénéfices et de la justice
Compte tenu des ressources publiques, l’efficience d’une mesure de santé publique doit être soigneusement clarifiée, et notamment faire l’objet d’une analyse du rapport incrémentiel coûts-bénéfices. Cette analyse permet de comparer le rapport entre les coûts supplémentaires et les bénéfices supplémentaires à des mesures alternatives – s’il en existe. L’efficience fait aussi intervenir le principe de proportionnalité et, donc, requiert de clarifier si un objectif déterminé ne peut pas être atteint plus facilement, par des mesures moins restrictives et avec un potentiel de préjudices moins important. (Voir encadré «Echelle d’intervention»)

6. Légitimité
Principes éthiques de la justice et du respect de l’autonomie
Les réflexions morales complexes trouvent rarement une réponse unique et définitive. Faute de «superprincipe» éthique et d’impératif de pondération, il est difficile de résoudre les divergences d’opinions éthiques en matière de santé publique. Il faut alors évaluer la légitimité non seulement de l’instance de décision mais aussi du processus décisionnel. Les critères applicables à un processus décisionnel légitime et équitable sont la transparence des bases normatives et empiriques, la cohérence des différentes décisions, la rationalité des justifications, la participation des groupes concernés, la minimisation des conflits d’intérêts, la disposition à pouvoir réviser une décision en cas de nouvelle situation et une réglementation officielle ou volontaire qui garantit le respect effectif de ces principes. Dans le discours politique, l’expérience montre que d’autres critères entrent en jeu, portant sur les bénéfices et les préjudices économiques ou fédéralistes.

Que doit faire l’Etat?
La responsabilité de la santé incombe, de manière irréfutable, non seulement à l’individu mais aussi à l’Etat, tout comme celle de la sécurité sociale ou de la formation, domaines dans lesquels les inégalités ne devraient pas avoir de place. Le rééquilibrage ne peut se faire que de bas en haut, c’est-à-dire en améliorant la situation des personnes défavorisées sans péjorer celle des personnes mieux loties. Dans quelle mesure ce rééquilibrage est-il une obligation sociale, et comment placer l’Etat et la société civile devant leur responsabilité au-delà de l’autonomie, tel sera l’objet de la prochaine génération de mesures de santé publique.  

 Strech Daniel, Marckmann Georg (Ed.). Public Health Ethik. Lit Verlag, 2010: Berlin.

L’échelle d’intervention médicale

L’échelle d’intervention médicale est un modèle qui soutient le choix de mesures de prévention et de promotion de la santé adéquates et proportionnées: le passage au niveau supérieur ne se fait que si une intervention ne montre (plus) aucun effet. La règle est la suivante: plus le niveau est élevé, plus il faut apporter de preuves de l’adéquation de la mesure prévue, de son efficacité, de sa nécessité et de sa tolérabilité pour les personnes concernées. Pratiquement toutes les mesures légales prises dans le domaine de la santé publique visent à protéger contre des objets et des tiers mettant la santé en péril (mise en danger d’autrui). La loi sur les stupéfiants est l’un des rares règlements au niveau fédéral qui contient des interdictions de consommation et veut ainsi protéger des adultes capables de discernement d’une mise en danger de leur propre personne.

Contact

Regula Ricka, Politique de santé, regula.ricka@bag.admin.ch

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